Cet article fait suite au billet de blogue « Prendre soin de la terre, c’est prendre soin de la vie ! ». Après avoir visionné le documentaire Les Liberterres, présenté par SUCO dans le cadre du Forum social mondial, je me suis intéressée aux facteurs qui empêchent le système agricole industriel de changer, ici comme ailleurs.
Si un grand nombre d’organisations de la société civile, de décideurs, d’entreprises sociales, de chercheurs s’entendent pour dire qu’il faut revoir le système qui sous-tend l’alimentation moderne, pourquoi se fait-il que le changement ne s’amorce pas plus vite ? Quels sont les facteurs qui ont un impact sur la lenteur du changement ? Certes, il est évident que l’aspect économique demeure au cœur de la question. Les consommateurs veulent des aliments à bas prix, accessibles à longueur d’année, et les producteurs s’adaptent à cette demande, en raisonnant à court terme et en considérant exclusivement le profit économique. Outre le facteur « offre et demande », le lobby agroalimentaire pèse aussi énormément. Ce sont tous les acteurs de la chaîne qui se mobilisent pour maintenir leur pouvoir et protéger leurs intérêts.
S’endetter, exporter, répéter
La fin du 19e siècle a vu naître le modèle d’agriculture industrielle, alors que les innovations technologiques comme le train ou l’entreposage des céréales nous ont permis de réaliser que nous pouvions exporter nos surplus de production agricole. Et petit à petit, nous nous sommes tournés vers des cultures de spécialisation pour être compétitifs, pour nourrir à moindre coût les villes qui se développaient et pour répondre aux gouvernements qui dirigeaient leurs politiques agricoles et commerciales vers ce modèle prometteur. Ce mode de production, pour être rentable et compétitif, vient avec son lot d’intrants chimiques et de machineries de dernière pointe. Qui dit intrants, dit coûts élevés, et endettement. L’orientation croissante de l’agriculture vers le commerce international demeure à ce jour un des principaux freins au développement de l’agroécologie à grande échelle. Alors que l’avantage comparatif (par exemple notre climat, les conditions du sol) devrait sous-tendre notre capacité à nous spécialiser, une multitude d’incitatifs financiers ont été offerts aux agriculteurs et agricultrices afin de pouvoir soutenir cette expansion. Or, dans bien des cas, la spécialisation « régionale » va à l’encontre des ressources disponibles localement. Nous n’avons qu’à penser à l’exemple de la culture intensive des amandes en Californie qui est dénoncée par plusieurs comme étant en partie responsable de la sécheresse qui s’abat sur la région (les amandiers consomment jusqu’à quatre fois plus d’eau que les cultures traditionnelles de la vallée ou ils poussent !).
Manger beau, pas si sain, pas cher du tout, tout de suite
Parallèlement au développement de l’agriculture industrielle, ont vu le jour les chaînes « grande surface » de distribution alimentaire et des gammes de produits transformés, pré-préparés et presque prémâchés (!) adaptés à ce qu’on aime appeler la « vie moderne ». Et cette demande pour les produits transformés s’appuie sur la production intensive de matières premières à faible coût (maïs, blé, etc.) et ainsi de suite… La boucle est sans fin ! Ajoutons à cela une consommation accrue de viande qui, elle, nécessite aussi que l’on produise de façon intensive du fourrage pour le bétail… Et hop, la roue tourne. Et nous voilà devant un autre frein à l’avènement de l’agroécologie à grande échelle. Et ce n’est pas fini, puisque l’on voit les pays émergents adopter les habitudes alimentaires occidentales qui soutiennent cette roue.
Prévalence du court terme et du retour sur investissement
Je le mentionnais précédemment, le système agricole industriel actuel a été largement appuyé par la mise sur pied de politiques, mais aussi par le secteur privé qui a encouragé la production de variétés à haut rendement et résistantes à tout type de risque (bref, des plantes 4×4 !). Et ces intérêts politiques et financiers sont guidés par des solutions à court terme. En effet, on s’entend pour dire qu’une société cotée en bourse ne sera pas très intéressée à investir dans des changements à long terme qui rapporteront des dividendes uniquement dans 5 ou 10 ans aux actionnaires !
Dans un autre ordre d’idée, si l’agriculture industrielle est aussi « performante » aujourd’hui, c’est aussi grâce à toute la recherche qui a été faite dans le secteur. Or, la plus grande partie des travaux en recherche et développement a été graduellement privatisée au détriment de la recherche faite par le secteur public. Et si les grandes entreprises financent la majeure partie de la recherche agricole, c’est bien pour servir leur propre agenda ! Pour faire réellement avancer la recherche et engendrer un changement durable, il faudra construire davantage de ponts entre les disciplines qui entourent l’agriculture. Il est maintenant temps pour les États d’investir à nouveau dans le secteur agricole de façon holistique et de songer aux prochaines réformes qui favoriseront l’agroécologie.
Il était une fois l’histoire d’une planète qui devait nourrir…
La sécurité alimentaire est un des mots d’ordre des décideurs à travers le monde, sécurité alimentaire atteinte en augmentant la production alimentaire. Et le modèle agricole industriel a longtemps semblé être LE moyen d’y parvenir rapidement et efficacement. « Donc, les politiques agricoles ont aussi été largement orientées vers la production intensive et les monocultures afin de subvenir aux besoins caloriques des plus affamés, en plus d’avoir répondu à des exigences liées au commerce international. ».Toutefois, le problème du discours sur la sécurité alimentaire est qu’il est toujours orienté vers les mêmes acteurs que ceux de la révolution agricole industrielle comme porteurs de solutions, alors que d’autres pistes s’offrent à nous. Un autre élément qu’on a vu apparaître pour nuancer le discours adjoignant agriculture industrielle et sécurité alimentaire a été l’avènement de termes comme « intensification durable » ou « agriculture climato-intelligente » (une belle façon de rendre les monocultures plus vertes dans le marketing les entourant !).
Pour qu’une stratégie de sécurité alimentaire durable puisse être mise en place, il faudrait changer la façon dont on analyse le monde agricole, soit en silo. Par exemple, il faut adopter de nouvelles manières de mesurer les rendements agricoles et considérer aussi le « profit » écologique et social. En effet, si l’on mesure les rendements d’un système agricole uniquement à l’aune de sa production annuelle, à court terme, l’agriculture industrielle semble une option viable. En revanche, si l’on considère parmi les rendements la préservation de la qualité du sol et de la biodiversité, l’impact nutritionnel et sanitaire des pratiques agricoles et les pollutions engendrées, l’agroécologie semble l’option la plus efficiente.
En conclusion, je trouve que le discours actuel souligne à juste titre la nécessité de penser à la sécurité alimentaire (je ne dis pas le contraire). Cependant, il ne s’attaque pas aux causes réelles du problème : à quel endroit et par qui la nourriture en quantité suffisante doit être produite. Trop souvent, on esquive la question de l’agriculture familiale comme mode de résilience en contexte d’insécurité alimentaire. Ce sujet, j’y reviendrai dans un prochain article !
Crédit-photo: freestocks.org