Des faits pour orienter les futurs programmes
Lors d’une rencontre que le premier ministre Justin Trudeau et la ministre du Développement international et de la Francophonie, Marie- Claude Bibeau, tenaient avec les dirigeants de la société civile au début du mois dernier, j’ai entendu madame Bibeau parler d’evidence base, soit « la base factuelle » comme un élément nécessaire pour évaluer les initiatives proposées en développement international. J’ai passé la semaine à Ottawa. Eh bien en cette même semaine, le terme
« base factuelle » est revenu deux autres fois de la bouche de différents fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada.
Sortir des sentiers battus pour mieux innover
Je connais bien le terme. Ayant travaillé à Action contre la faim, une organisation en grande partie axée sur le traitement thérapeutique de la malnutrition aiguë, j’y ai souvent entendu le terme
« pratique basée sur les faits », largement utilisé dans le cadre du traitement et de la thérapie. Ce terme ne s’oppose pas tout à fait à la pratique d’exploration ou à la pratique fondée sur la théorie. Il est davantage un moyen de remettre en question les hypothèses sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans les procédés de traitement. Il incite surtout les praticiens à compter sur une pratique éprouvée.
Cette approche fondée sur les faits est très sensée dans de nombreux cas de mon secteur. Notamment en agroécologie, une grande partie des techniques employées dans le cadre des projets de SUCO reposent aujourd’hui sur la démonstration qu’elles fonctionnent. Mais cela n’a pas toujours été le cas, et même aujourd’hui, ce n’est pas le cas pour tout. Il y a vingt et quelques années, il était nécessaire d’innover, de théoriser sur ce qui pourrait fonctionner pour retenir l’eau, pour arrêter l’érosion du sol, pour lutter contre les parasites sans utiliser de produits nocifs pour la terre ou pour les producteurs ou les consommateurs. Même à l’heure actuelle, de nouvelles techniques en la matière sont explorées régulièrement. Donc, une base factuelle n’est pas toujours possible. Cela peut être une partie de la réponse, tout autant que l’innovation.
Mais tout ceci n’est qu’une petite partie de la question que je veux aborder. Deux autres points me préoccupent
davantage : une base factuelle sur les effets des changements climatiques, et comment les faits orienteront les programmes et les politiques à l’avenir.
Il existe des schémas pour comprendre les effets des changements climatiques. J’ai vu une carte du monde de 2060 des plus convaincantes, dans laquelle de nombreuses îles n’existent plus, ni une grande partie de la Floride. Poussons plus
loin : regardez la réaction future des gens face à ces réalités, où vont-ils aller ? Et quel impact aura leur venue sur leur communauté d’accueil ? C’est le travail des démographes de répondre à ces questions. Quelles répercussions auront ces schémas sur les politiques et programmes visant à atténuer les changements climatiques et à aider les populations à s’adapter à ses effets ? Il ne s’agit pas de faits, mais de projections basées sur la théorie, soutenues par des modèles mathématiques. Dans le discours prévalent ici au Canada, il n’a pas encore été démontré qu’on réfléchit sérieusement à l’avenir.
Comment la pratique fondée sur des faits pourra-t-elle intégrer les politiques de développement ?
D’après mon expérience, élaborer un projet de 5 ans peut nécessiter un an de travail, plus deux ans avant qu’il ne soit approuvé – à compter de la réception du projet, à son analyse, jusqu’à la signature du contrat – et plus cinq ans pour mettre en œuvre. Donc après analyse de tous les éléments, nous pouvons compter près de 8 ans avant de concrétiser un projet. Si le projet qui se termine en 2024 est basé sur les faits connus en 2016, ne serait-il pas caduque ? Il doit bien y avoir un espace pour se concentrer sur l’avenir, et pas seulement sur le passé : des faits, oui ! Mais aussi de l’innovation, et un sérieux effort pour comprendre ce qui s’en vient.
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