Par Eddy Michel Yao, ancien collaborateur en élaboration et gestion de projets au Sénégal
Sénégal
Avec une augmentation de plus de 20 % au cours de la dernière décennie, le Sénégal fait partie des pays africains qui connaissent une augmentation constante de sa production de miel. Le miel sénégalais, prisé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays pour son goût exquis et ses bienfaits sur la santé, est toutefois confronté à des menaces liées aux changements climatiques. De plus, le secteur de l’apiculture sénégalais doit relever le défi de l’inclusion des femmes, un enjeu important pour le développement d’une filière inclusive et résiliente.
Défis et enjeux : Climat, femmes et sécurité alimentaire
Depuis plusieurs années, les apiculteurs·rices de la région de la Casamance, reconnue pour son importance stratégique dans la production de miel en raison de son climat pluvieux et de sa végétation luxuriante, constatent les effets néfastes des changements climatiques sur leur production. En effet, cette région du sud, qui représente 70 % de la production nationale de miel, est confrontée à l’augmentation des températures, à la diminution des précipitations et à la salinisation croissante des sols. Par conséquent, la désertification progressive de la région et le décalage des périodes de floraison qui en résultent nuisent à l’environnement des abeilles et à la production de miel de qualité. Pourtant, les abeilles jouent un rôle vital dans la pollinisation ainsi que la diversification des cultures et des espèces forestières. Elles sont également une source de revenus cruciale et une ressource alimentaire essentielle pour les populations rurales. Face aux défis actuels des changements climatiques, les méthodes traditionnelles employées par les apiculteurs·rices et basées sur les savoirs ancestraux ne sont plus aussi efficaces à cause de la baisse du rendement et des revenus. La sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de populations déjà vulnérables sur le plan économique est donc mis en péril.
En outre, l’apiculture en Casamance est une activité traditionnellement pratiquée par les hommes en raison de croyances et stéréotypes liés à l’agressivité des abeilles et aux exigences physiques telles que la récolte nocturne de miel dans les arbres ou encore la manipulation du feu. Ces perceptions ont créé des obstacles systémiques qui ont de facto restreint la participation des femmes dans ce secteur porteur d’opportunités génératrices de revenus, bénéfique à la sécurité alimentaire et au maintien des moyens de subsistance. En réalité, très peu de femmes s’adonnent à l’apiculture en Casamance, étant généralement cantonnées à des rôles secondaires, principalement liés à la transformation et à la commercialisation du miel. Leur contribution se limite souvent à apporter un soutien aux hommes de leur famille, sans profiter directement des retombées financières ni des opportunités d’apprentissage, d’où leur implication et leur représentation limitées au sein des organisations apicoles.
Les Reines des Abeilles : Une réponse aux enjeux climatiques et d’inclusion des femmes
Le projet Burru-Yambi : Les Reines des Abeilles, financé par Affaires Mondiales Canada via le Fonds Innove de SUCO, est une réponse concrète aux enjeux liés à l’impact des changements climatiques sur l’apiculture, tout en cherchant à favoriser l’inclusion effective des femmes dans la filière. En partenariat avec l’Association des apiculteurs du Sénégal (APISEN), la phase expérimentale de cette initiative collaborative vise à intégrer pleinement les femmes dans la chaîne de valeur apicole, de la production à la commercialisation en passant par la transformation.
Le projet qui se concentre spécifiquement sur l’apiculture de mangrove, ressource naturelle précieuse de la région, appuie l’Union des Femmes Apicoles et Ostréicoles de Niaguis (UFAON) dans l’adoption de techniques de production climato-intelligentes de miel et d’autres produits dérivés de la ruche grâce à des activités de renforcement des capacités, de distribution d’équipements apicoles, de formation, de sensibilisation et de plaidoyer. Ces techniques visent à améliorer l’adaptation aux changements climatiques tout en augmentant la qualité et la quantité des productions apicoles. En effet, ce groupement composé d’une cinquantaine de femmes est confronté à des défis importants en matière de gestion des colonies d’abeilles et de récolte durable et sécuritaire du miel et des autres produits de la ruche. Par ailleurs, le projet vise également à restaurer la mangrove dégradée de l’aire marine protégée de Niaguis, ce qui permettrait aux femmes du groupement de poursuivre leurs activités économiques dans l’ostréiculture tout en contribuant aux efforts de conservation de cette biodiversité. À ce jour, 15 hectares de mangroves ont été restaurés avec l’appui des eaux et forêts ainsi que des élus locaux dans l’optique d’atténuer les effets des changements climatiques, créer des puits de carbone et des zones de reproduction d’espèces marines.
Parallèlement, le projet Burru-Yambi : Les Reines des Abeilles a formé une dizaine de femmes qui pourront agir en tant que relais et formatrices dans l’apiculture de mangrove et la production écoresponsable de miel de qualité. Les femmes formées lors de cette phase test deviendront des ambassadrices, prouvant que les femmes peuvent être des actrices majeures du secteur apicole. Enfin, à travers une série d’ateliers d’échanges et partage, le projet a adressé les perceptions sociales sur le rôle des femmes dans l’apiculture et sur l’importance cruciale des abeilles et de la mangrove. Grâce à la sensibilisation des hommes et de la communauté rurale de Niaguis, les préjugés sociaux seront progressivement déconstruits au profit d’une filière résiliente et inclusive.
Cet article a été réalisé grâce au financement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada pour le Programme de coopération volontaire.