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Écrire ce billet, c’est revenir à la maison après une longue absence. Les 5 ans de Nous.blogue et le confinement sont propices à se poser.
Deux ans sans écrire ou presque. Un long voyage, ici et ailleurs, pour mettre les choses en perspective et moi-même au défi, portée par un idéal de monde plus « collectif », mais aussi plus viable.
J’ai cherché qu’elle pouvait être ma contribution, ma petite valeur ajoutée, dans la transition écologique. Bien petite, assurément, vu l’ampleur de la tâche, mais peut-être pas vaine conjuguée à un ensemble d’autres. J’en ai conclu que je pouvais contribuer à connecter les efforts, à leur donner de la force, de la visibilité, de l’importance. Que je pouvais aussi mettre ma capacité d’entreprendre au service des gens qui, par nécessité, avec intelligence, conscience et cœur, prennent la parole et agissent.
La nécessité et le changement
L’histoire se déroule à Huaraz, dans les Alpes péruviennes, à 3 052 mètres d’altitude, en juin de l’année dernière. C’était avant la pandémie.
L’air est limpide, très sec. L’oxygène plus rare qu’au niveau de la mer; la moindre côte montée trop vite fait pomper le cœur. Le soleil est chaud; j’en suis plus proche que jamais dans ma vie. Dès qu’il disparaît derrière un mur, le froid reprend ses droits. C’est l’hiver là-bas, à ce temps de l’année. Tout simplement magnifique! Le Mont Huascaran, en toile de fond, est un géant, le plus haut du Pérou avec ses 6 768 mètres. Son glacier n’est toutefois plus aussi éternel qu’il le fut…
À Huaraz, j’ai assisté au forum du projet FORMAGRO1 sur le thème des changements climatiques. Les participantes et participants sont des jeunes quechuas, issus des communautés rurales andines. Quand le glacier du Huascaran aura fondu et ceux des autres géants aussi, il n’y aura plus assez d’eau dans les Andes pour arroser leurs cultures et abreuver leurs animaux. Avec les changements climatiques, les événements extrêmes sont déjà plus fréquents. Lorsque la pluie torrentielle s’abat sur la terre desséchée, elle entraîne avec elle la route, les maisons, les récoltes, les bêtes et parfois les humains. C’est là quelques-uns des problèmes auxquels les jeunes quechuas cherchent des solutions, avec une fine connaissance de leur coin de monde, de la passion, de l’intelligence et très certainement aussi le sentiment de ne pas avoir le luxe d’échouer.
Cette histoire se répète, d’exemple en exemple, exposant la réalité tangible et difficile des bouleversements en cours dans le monde, notamment le monde rural et économiquement pauvre. Elle se conclut chaque fois avec la nécessité et l’urgence d’agir.
L’Anthropocène et les zoonoses
Dans un article publié le 29 mars sur le site web de Radio Canada2, le journaliste Ahmed Kouaou fait le postulat de liens entre la crise sanitaire actuelle et notre rapport à la nature. Il cite Serge Morand, écologiste de la santé au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) en France.
Selon ce chercheur, la pandémie de coronavirus n’est pas étrangère aux actions humaines. La perte de la biodiversité, la disparition de forêts, l’élevage intensif, la chasse aux animaux sauvages, ainsi que nos pratiques agricoles invasives seraient des accélérateurs de la crise écologique, dont découlerait la crise sanitaire. L’augmentation remarquée des crises sanitaires de type zoonoses3 résulterait des contacts accrus entre la faune sauvage (dont le territoire s’amenuise), les animaux domestiques et d’élevage (de plus en plus nombreux) et les humains (de plus en plus nombreux, eux aussi).
L’occasion et la transition
Pour diminuer les risques de pandémie comme celle que nous vivons, Serge Morand soutient qu’il faut revoir notre modèle globalisé et, notamment, réinsérer les activités agricoles dans les territoires. Si nous options pour des pratiques plus agroécologiques et localisées, nous serions en mesure d’assurer notre sécurité alimentaire, de générer des revenus décents pour nos agriculteurs, de dynamiser nos communautés, tout en préservant durablement la biodiversité et la santé humaine et animale.
La réalité et les choix ne sont pas nécessairement simples, en tout cas dans un territoire nordique comme le Québec. La tomate qui pousse l’été dans un champ de la Montérégie ou sur le toit d’un immeuble montréalais est un bon choix. Toutefois, celle produite en serre durant l’hiver est énergivore; plus que l’autre produite au Mexique, toutes dépenses énergétiques confondues. Par contre, acheter des tomates de serre du Québec, soutient des entreprises d’ici qui pourront, avec le temps, parvenir à réduire leur consommation d’énergie en améliorant leurs technologies et leurs pratiques, notamment si des incitatifs gouvernementaux le facilitent.
Les aliments étant devenus des biens de consommation comme d’autres, sur-diversifiés, d’accès facile, gaspillables même, nous avons très probablement perdu de vue l’immense opération que représente la production d’aliments pour les 7,78 milliards de bouches humaines, ainsi que pour les 65 milliards4 d’animaux élevés et tués chaque année pour être mangés à leur tour. Si nous profitions de la pandémie pour réinvestir notre alimentation, ce serait déjà un immense pas vers plus de durabilité.
Serge Morand n’est pas le seul, dans cet air du temps si particulier, à prôner un retour à un mode de vie plus sobre et local. Si j’en crois le microcosme de mes réseaux sociaux, la révolution serait même en marche : faire son pain, partir ses semences de légumes et se mettre aux conserves l’automne venu, faute d’avoir une serre pour cultiver toute l’année.
J’en suis, remarquez. J’espère que, de ce réapprentissage forcé du temps et de la manière de faire les choses, il nous restera des compétences, de l’ingéniosité et suffisamment de volonté pour ne pas perdre la main sitôt qu’elle sera déconfinée.
Quoi qu’il en soit, cette pandémie est du jamais vécu depuis le début de l’Anthropocène. Elle est mondiale et se vit d’une manière si intime, dans l’isolement de chaque maison. Elle nous prend toutes et tous, riches comme pauvres. Contrairement au réchauffement du climat, malheureusement difficile à appréhender à l’échelle de nos existences individuelles, la COVID-19 touche chaque être humain, individuellement et collectivement, localement et mondialement.
La pandémie sera-t-elle suffisante pour induire des prises de conscience et des changements? Peut-être, si de nombreuses voix s’élèvent en même temps, mais, surtout, si les solutions pour vivre mieux et plus durablement sont là, prêtes à l’emploi, faciles, ludiques presque, sur le pas des portes, dès que les confinés que nous sommes mettrons le nez dehors.
Une chose est certaine, jamais nous n’aurons la chance d’avoir autant d’écoute, d’esprits ouverts au changement et de gens prêts à une certaine transition écologique. Si nous n’en sommes pas, ce ne sera pas faute d’avoir eu la perche bien tendue.
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Entreprises fermées, consommation et déplacements restreints; l’économie est ralentie d’une façon sans précédent. Pendant ce temps, la planète se repose. Par un exemple inespéré, la pandémie montre combien l’activité humaine est délétère5. Le ciel s’éclaircit, l’eau redevient limpide, les animaux reviennent, certes moins nombreux, mais encore là, habituellement repoussés aux marges du monde que nous nous arrogeons.
Possible qu’après la pandémie les émissions polluantes repartiront à la hausse. Le système économique, énergies fossiles dans les moteurs, voudra redémarrer sur ses bases. Sera-t-il possible de proposer d’autres voies? Les mesures actuellement prises par les états pour venir en aide aux travailleurs et aux entreprises fragilisés par la crise sont de potentiels vecteurs d’une intéressante transformation.
Le Panier Bleu, lancé au Québec tout dernièrement, est un exemple de mesures qui interpellent un nouveau « nationalisme » et a des chances de réussir, les Québécoises et Québécois prenant conscience des impacts de leurs choix de consommation et de l’importance de soutenir leur économie locale et nationale. Un pas de plus pourrait être de préparer la reprise d’une économie davantage décarbonisée. Encore là, je pense que nous pouvons y faire en proposant des solutions de rechange concrètes, à la portée des entreprises et des individus, notamment sur le plan de l’organisation du travail (nous serons déjà des expertes et experts du télétravail), des technologies, de l’énergie et du transport.
Les jeunes quechuas
Nous.blogue, pour ses 5 ans, nous invite à nous projeter dans ce que sera le développement collectif dans 10 ans. S’il y a quelque chose de clair, pour ma part, c’est que le développement humain sera différent ou ne sera pas bien longtemps.
Il ne pourra être durable qu’à condition de ne pas miser sur une exploitation encore accrue des ressources et sur la consommation et la croissance comme motos. Le pouvoir citoyen, dans ce qu’il a d’engagé et de protecteur du bien commun, devra prendre plus de place. L’éducation devra être une plus grande priorité, tant pour comprendre les problèmes et leurs causes, pour dépasser les préjugés et les idioties, que pour générer des solutions durables.
Revenons aux jeunes quechuas.
L’élan généré par une prise de parole et de pouvoir est une puissante source de motivation et de changement. Si on leur laisse la place, les écoute, soutient leurs projets, elles et ils pourraient être les agentes et agents de la nécessaire transition écologique, non seulement dans les Andes, mais partout. De cette crise, que feront-ils? Que feront-elles? Espérons qu’ayant tiré des leçons, les jeunes ne voudront plus revenir en arrière. Espérons que nous serons assez sages et lucides pour ne pas les empêcher d’avancer.
1. FORMAGRO est un projet mené par SUCO qui cherche à créer un système alimentaire écologiquement, économiquement et socialement viable. Il forme les jeunes des communautés andines à l’agroécologie et les appuie dans le développement de débouchés économiques.
2. La crise sanitaire est liée aux actions humaines, selon un écologiste, Ahmed Kouaou, ici.radio-canada.ca
3. On appelle zoonoses les maladies qui se transmettent des animaux vers les humains. Les coronavirus se retrouvent naturellement chez les animaux, notamment les chauves-souris. Ces dernières ne nous infectent pas directement, mais à travers d’autres animaux qui jouent un rôle d’intermédiaires.
4. Selon l’estimation de la FAO.
5. En Chine, on estime que de 1 à 2 millions de personnes meurent chaque année de la pollution atmosphérique. Avec la pandémie, cette surmortalité a momentanément diminué de 20 % à 30 %. Si on compte environ 3 500 morts (officiels) du coronavirus, c’est encore de nombreuse vies qui seraient épargnées par une meilleure qualité de l’air.
Renseignements supplémentaires:
Geneviève Giasson
Directrice générale
Courriel : montreal@suco.org