Retour sur le panel « Femmes et gouvernance climatique »
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, SUCO et le Réseau des femmes en environnement ont organisé le panel « Femmes et gouvernance climatique ». Ce panel est le troisième d’une série de quatre panels organisés par SUCO et ses partenaires à des moments clés de l’année afin de partager au public ses différentes expertises en termes de résilience aux changements climatiques, de systèmes alimentaires viables, de droits et de participation des femmes ainsi qu’au niveau de la mobilisation des actrices et acteurs de changement.
Malgré leur rôle prépondérant dans la gestion et l’utilisation des ressources, les femmes restent sous-représentées dans les processus de gouvernance environnementale au niveau local, national et mondial. À la COP26, les hommes monopolisent la parole, les délégations des États participants sont composées à 65 % d’hommes, contre 35 % de femmes, et ce n’est qu’un exemple de cette sous-représentation.
Pour faire l’état des lieux de la place des femmes dans la gouvernance climatique, l’animatrice du panel, Amandine Gournay, conseillère en développement et chargée de projet au Réseau des femmes en environnement, a interpellé nos trois invitées expertes :
- Rivellie Tchuisseu est présidente et fondatrice de Seedcha, une société de conseil dans le domaine de l’agriculture et de l’environnement. Doctorante en sciences de l’environnement à l’UQAM, Rivellie est consciente que les femmes ne sont pas suffisamment représentées dans les structures décisionnelles en agriculture et réalise donc sa thèse de doctorat sur cet enjeu.
- Marie-Andrée Mauger est mairesse de l’arrondissement de Verdun et responsable du dossier de la transition écologique et de l’environnement à la ville de Montréal.
- Linda Gagnon est chargée de programme depuis 2006 chez SUCO et travaille plus spécifiquement sur les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes.
Des femmes au cœur de la gestion et de la protection des ressources : l’exemple de l’agriculture
Rivellie Tchuisseu nous explique qu’au Canada, l’agriculture est le troisième secteur émetteur de gaz à effet de serre, après le secteur de l’énergie et celui du transport. Cependant, l’agriculture ne contribue pas seulement au réchauffement climatique de façon négative, elle en est aussi victime et porteuse de solutions, tout comme les femmes. En effet, à cause du réchauffement climatique, l’agriculture est vulnérable aux phénomènes environnementaux extrêmes (sécheresses, inondations), influençant de manière négative les productions. Mais l’agriculture sait aussi être durable et permettre une réduction des émissions de CO2, notamment grâce à l’agroforesterie, la restauration des sols, les techniques de labour, la rotation de cultures… Dans tout ce processus, les femmes occupent une place de choix. Elles sont elles aussi les premières victimes des changements climatiques, mais font également partie intégrante de l’appareil de production agricole et de préservation de l’environnement. Mais leur travail est très mal comptabilisé et représenté : une étude réalisée au Manitoba démontre que les femmes ont une meilleure propension à changer les pratiques environnementales, mais qu’elles ne sont pas présentes dans les instances de décisions.
Des femmes encore sous-représentées
À l’échelle municipale…
Sur 133 pays étudiés, ONU Femmes nous apprend que les femmes représentent seulement 36 % des personnes élues à l’échelle locale. Bien que Marie-Andrée Mauger fasse partie d’un conseil municipal paritaire, elle explique que de nombreux autres progrès restent à faire. En fait, malgré la parité observée, les femmes sont moins souvent à des postes plus élevés dans la hiérarchie. D’un point de vue environnemental, la mairie a observé que les Montréalaises aussi sont plus touchées par le réchauffement climatique. Les personnes mal logées dans des quartiers peu verdis et donc plus vulnérables sont souvent des femmes. Elles sont donc beaucoup plus exposées durant des épisodes de canicule par exemple.
Portant également le rôle implicite d’aidante, la femme va naturellement s’occuper des autres personnes vulnérables autour d’elle, lui faisant ainsi porter un double fardeau lié au réchauffement climatique, même dans les grandes villes. Marie-Andrée souligne que ces enjeux sont aussi à prendre en compte dans l’aménagement de nos territoires et c’est grâce à une meilleure représentation dans les organes décisionnels que les intérêts des femmes seront mieux représentés.
… Mais aussi à l’échelle globale
Toujours selon ONU Femmes, en 2021, dans 190 pays recensés, 105 femmes étaient ministres de l’environnement. En réalité, ce pourcentage plutôt encourageant ne représente qu’une faible part de la prise de décision face à des ministères considérés bien plus important comme celui de l’économie ou des finances, à 78 % représentés pas des hommes, ou encore les ministères de l’Agriculture et de la Justice qui ne sont occupés qu’à 25 % par des femmes.
Au cours des grandes rencontres sur le climat, de plus en plus de femmes sont présentes, mais il s’agit généralement de femmes éduquées, issues du milieu urbain. Les femmes rurales, autochtones, sont quant à elles totalement absentes alors qu’elles sont pourtant en première ligne dans la défense de la terre et de l’environnement. On affirmait pourtant dès 1992, lors du sommet de la Terre à Rio, que :
« Les femmes ont un rôle vital dans la gestion de l’environnement et le développement. Leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d’un développement durable ».
Nous sommes encore bien loin de cette réalité.
Conséquences de cette sous-représentation
Il est légitime de penser que la gestion des ressources naturelles n’est pas nécessairement genrée, que la perte de biodiversité, le réchauffement climatique, la sécheresse touchent autant les femmes que les hommes, mais non ! Les décisions et les lois souvent érigées par les hommes ont des impacts négatifs sur la vie des femmes. Linda Gagnon en donne quelques exemples : des études ont montré que dans les pays où les industries extractives sont implantées, la violence sexuelle et physique envers les femmes augmentait considérablement. Autre exemple, le déboisement et la rareté de l’eau obligent les femmes à augmenter le temps consacré à la récolte de ces ressources pour les besoins de la famille. Au Tchad, les femmes peuvent passer jusqu’à 20 h par semaine seulement pour ramasser du bois. Le déboisement fait également disparaître un grand nombre de plantes médicinales, qui est un savoir transmis de mère en fille, ce qui limite leur capacité à produire des médicaments pour le bien-être de la famille. Enfin, la dégradation des milieux et les changements climatiques exercent une forte pression sur les familles ce qui amène très souvent les époux à quitter le foyer pour rechercher un emploi, laissant les femmes seules responsables de la famille.
Pistes de solutions
Pour prendre en compte les intérêts et les besoins des femmes, il ne s’agit pas simplement d’instaurer des quotas pour encourager leur participation. D’autres actions doivent être mises en œuvre. Il s’agirait notamment de favoriser les espaces de participation sécuritaire exemptés de toute violence, de paroles et actes sexistes. Sensibiliser les hommes en général, les chefs de villages, les maires, les responsables de ministères à la nécessité de prendre en compte les idées et besoins des femmes. Il faudrait également :
- renforcer la confiance en soi des femmes, de leur valeur et de leurs savoirs;
- favoriser l’accès à la propriété pour les femmes;
- alléger leur charge de travail, remettre en question les règles et les pratiques socioculturelles sexistes, renforcer leurs connaissances.
L’égalité aujourd’hui pour un avenir durable
Aujourd’hui, ce sont les structures formelles du pouvoir (parlements, mairies…) qui décident des lois et des règlements qui régissent l’ensemble des actions concernant les ressources naturelles. Si les femmes ne sont pas incluses dans ces processus décisionnels, leurs intérêts et besoins ne pourront jamais être pleinement pris en compte. Elles doivent, dès maintenant, faire partie intégrante de la solution pour la protection de l’environnement.
Visionnez en rediffusion le panel « Femmes et gouvernance climatique. »
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Crédit photo :
Couverture – CCLab
Renseignements supplémentaires :
Lucy Pyrrha
Stagiaire – Équipe projets
Courriel : lucypyrrha@suco.org