L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le 8 juin dernier que la situation de la pandémie en Amérique du sud et centrale est la plus complexe au monde. De plus, l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS, branche régionale de l’OMS) se préoccupe d’une résurgence des cas en juillet avec l’arrivée de la période hivernale et de la saison des pluies, période propice aux infections diverses et aux insectes vecteurs de malaria, zika, et du dengue. L’aplatissement de la courbe, qui donne l’espoir d’une baisse de la contagion, n’a malheureusement pas encore eu lieu dans un grand nombre de pays de la région et la transmission communautaire prend de l’ampleur.
Quelques éléments expliquent la situation catastrophique de certains pays : la pauvreté généralisée; la précarité des systèmes de santé; l’économie informelle et finalement le leadership controversé de certains dirigeants.
L’Amérique centrale, des contrastes et des similitudes
Au Honduras, où l’état d’urgence sanitaire a été déclaré dès le 13 mars, on a interdit tout déplacement pour une période initiale de trois semaines. Au début avril, les commerces essentiels ont reçu l’autorisation d’ouvrir, mais la population ne peut s’y approvisionner qu’une fois tous les 15 jours (des jours sont assignés selon le numéro de la carte d’identité des personnes) et seulement du lundi au vendredi; le contrôle est très strict et bien souvent réalisé par l’armée. Les samedis et dimanches tous les déplacements sont formellement interdits et un couvre-feu de 20h00 à 5h00 est en vigueur et ce jusqu’en août.
Le 8 juin dernier, après plus de trois mois de confinement, on autorisait l’ouverture de certains autres commerces, mais toujours en limitant l’accès une fois aux 15 jours.
En date du 13 juin, 8 455 personnes ont été déclarés positives à la COVID-19 avec un total de 310 décès. Le gouvernement informe régulièrement la population de tous les cas, recense et rend public par communiqué de presse la liste des personnes testés positives, les personnes hospitalisées et celles rétablies, incluant des donnés comme l’âge, le sexe et le département de résidence.
De son côté, le Nicaragua se trouve au cœur de la tempête et le leadership du gouvernement est extrêmement controversé et décrié par les pays avoisinants et les grandes organisations internationales. En effet, aucune des mesures suggérées et éprouvées n’a été mise en place dans ce pays, contrairement aux autres de la sous-région. Les frontières n’ont pas été fermées, il n’y a pas de dépistage massif, la distanciation sociale et le port du masque n’ont pas été imposés ni même fortement recommandés. Les écoles demeurent ouvertes et des grands rassemblements publics ont été encouragés tout au moins au début de la pandémie. La seule mesure prise par le gouvernement a été une campagne communautaire de dépistage et d’information faite par des promoteurs et promotrices de la santé qui sillonnent le pays de maison en maison pour informer des symptômes de la maladie.
De plus le gouvernement a, selon la société civile et les médecins et l’OPS, observé une certaine opacité dans le rapportage des cas et a probablement grandement minimisé ceux-ci. En l’absence de normes édictées par le gouvernement, bon nombre d’entreprises, incluant les ONGs, ont adoptés leurs propres mesures : elles ont fermé leur porte et dans les cas où cela était possible elles ont adopté le télétravail; les commerces ont installé des postes de désinfection des mains et de prise de température; et la population a limité ses déplacements et adopté le port du masque. Des campagnes privées de publicité « Quédate en casa » (Reste à la maison) ont été créées et diffusées.
Officiellement, sur une population de 6,4 millions, il y a actuellement 1 464 cas et 55 décès. Cependant, un observatoire indépendant regroupant des médecins et autres professionnels de la santé et des services sociaux rapporte qu’il y aurait plutôt 1 114 décès liés à la COVID-19 et plus de 5,000 cas.
Au Sud rien ne va
Au Pérou l’urgence sanitaire a été décrétée dès le 11 mars et des mesures très strictes ont alors été prises : fermeture des frontières, restrictions de déplacements, couvre-feu de 20h00 à 6h00, confinement de la population, port du masque dans les commerces essentiels, et distanciation sociale de 2 mètres. Une conférence de presse journalière et télédiffusée du président de la République a été instaurée et quelques mesures d’aide financière ont été mises en place pour les familles les plus vulnérables. Malgré toutes ces mesures, le Pérou est depuis quelques jours le 8ième pays le plus touché dans le monde et le 3ième des Amériques avec plus de 6 688 décès et près de 230 000 personnes infectées. Il faut signaler que le Pérou est l’un des pays qui réalise le plus de tests de dépistage sur le continent. Le pays est toujours en confinement même si un assouplissement a lieu dans certaines régions moins touchées.
Haïti
En date du 11 juin, Haïti comptait un total de 3 796 personnes infectées et 58 décès. Avec la propagation de la pandémie et l’augmentation des personnes infectées au quotidien, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence jusqu’à la fin juillet, en adoptant un certain nombre de mesures sans pour autant imposer le confinement total. En effet, les écoles, universités, églises et entreprises d’envergure sont fermées. Les institutions publiques fonctionnent avec 50% de leur personnel. Le confinement de la population est fort complexe dans un pays dominé par l’économie informelle, et l’on oublie rapidement les consignes de distanciation physique dans les marchés publics bondés.
Plusieurs campagnes de sensibilisation ont lieu dans le pays, dans le but d’inciter les personnes craignant d’être contaminées à se rendre dans un centre hospitalier dès que possible, puisque la désinformation pousse les gens à se présenter trop tard à l’hôpital pour que le personnel puisse réellement les traiter. De plus, Haïti demeure le centre de constantes manifestations publiques et de violences. Une crise socio-politique sévit en effet dans le pays depuis 2019, où la population fait entendre sa grogne contre la corruption et les actions (ou inactions) du gouvernement intérimaire en place. L’arrivée de la pandémie a rendu la situation encore plus complexe.
Des effets semblables malgré les différences
Les systèmes de santé publics, en manque d’équipements, de matériel et de personnel soignant, ne peuvent faire face à la pandémie ce qui n’a fait qu’exacerber une situation préexistante et mettre en lumière leur inefficacité face à une crise de cette ampleur et ce, malgré tout le travail et le dévouement du personnel médical. Les familles se retrouvent bien souvent à devoir recourir, si elles peuvent se le permettre, à des systèmes parallèles privés.
Le recours à l’économie informelle est la source principale de revenus pour une grande partie de la population alors au risque de leur santé, d’être arrêtées pour ne pas respecter les consignes, ou même de transmettre la maladie, ces travailleurs et travailleuses se rendent tout de même à leur lieu de travail (kiosques de rue, chantiers de construction, maisons privées, etc.). Comment l’interdire quand plus de 50% de la population de ces pays ont cette seule alternative pour survivre?
Les travailleurs et travailleuses de l’économie informelle, se retrouvent en situation des plus précaire. Plusieurs des activités qu’ils et elles réalisent ont été brusquement interrompues. La majorité de ces activités sont réalisées par les femmes, soit le gardiennage d’enfants, l’aide domestique, la vente dans la rue de nourriture et de produits divers, alors en plus de la perte de revenus, essentiels à la survie de la famille, ils et elles ne disposent d’aucune assurance santé et de filet social.
Un autre des effets catastrophiques de la pandémie et des mesures mises en place est l’approvisionnement en aliments. En effet, dans plusieurs pays, la limitation des sorties et l’arrêt des transports publics et privés depuis le début de la crise ont grandement contribué à rendre l’approvisionnement très difficile, surtout dans les villes.
Une crise alimentaire est à prévoir à plus ou moins court terme car, en plus de la fermeture des marchés, plusieurs producteurs et productrices agricoles peinent à trouver les semences nécessaires pour débuter la saison agricole.
Il n’existe pas de données officielles fiables sur l’augmentation des cas de violence envers les femmes dans les pays des Amériques jusqu’à maintenant, mais l’ONU reste très préoccupée par la situation des violences envers les femmes en ces temps de pandémie; on ne peut exclure que la situation des femmes soit encore plus préoccupante qu’elle ne l’est en temps « normal ».
Depuis la mi-mai les différentes organisations liées au Nations Unies, Unesco, FAO, OMS, etc. ont fait part de leur préoccupation de la situation des populations autochtones et appellent les États à prendre des mesures particulières pour assurer leur sécurité alimentaire et sanitaire. Les populations autochtones sont parmi les plus vulnérables face à cette pandémie, elles vivent bien souvent isolées et sans services de santé adéquats, et comptent parmi les plus pauvres.
Nous agissons de concert avec nos partenaires terrain
Malgré que nous ne puissions pour le moment être présents physiquement dans nos pays d’intervention nous continuons le travail de soutien à nos partenaires sur le terrain à distance. Ceux-ci ont dû adapter leurs méthodes de travail, dans certains pays des visites sont organisées en mettant en place des mesures de protection tant pour les travailleurs et travailleuses que pour les populations, formation en groupes restreints, distanciation sociale et port du masque. Au Pérou par exemple, les jeunes producteurs et productrices, à défaut de compter sur les marchés habituels, ont commencé la livraison de paniers bios avec leur production et celle des familles avoisinantes, leur assurant ainsi des débouchés et des revenus essentiels. En Haïti, au Honduras et au Nicaragua, avec l’arrivée de la saison des pluies et donc agricole, nous devons redoubler d’efforts pour appuyer les populations à réaliser une saison agricole qui assurera l’alimentation des familles et l’approvisionnement des marchés.
Les femmes, les hommes et les jeunes des Amériques ont besoin de notre soutien, et de notre solidarité et nous déployons tous nos efforts pour rester à leurs côtés.
Crédit photo: CC-LAB
Renseignements supplémentaires:
Linda Gagnon
Chargée de programme – Pôle Amériques
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