Depuis le début de mon mandat au Nicaragua il y a plus de deux ans, la pluie est un événement rare, et la sécheresse qui en découle est attribuée, entre autres, au phénomène climatique El Niño. Pourtant, il devient de plus en plus évident pour n’importe quelle famille productrice du Nicaragua qu’El Niño n’est sans doute pas le seul responsable et qu’il n’est tout simplement plus possible de se fier aux almanachs. D’une année à l’autre, on ne sait plus quand ni quoi semer. Les jeunes doivent quitter leur famille pour gagner un peu d’argent et subvenir aux besoins de base. Bien souvent, cela veut dire traverser la frontière pour chercher du travail dans les pays environnants. Certains ne reviennent pas et abandonnent leurs enfants à leurs grands-parents. De nombreuses jeunes filles reviennent enceintes de père inconnu. Et ainsi, en plus de la pauvreté qui s’accentue, il se crée une dissolution sociale dans les communautés. Au-delà de la faim, la sécheresse a donc bien d’autres conséquences, dont celle d’affaiblir le principal réseau de solidarité de la culture nicaraguayenne : la famille.
Des expériences convaincantes
Avec ce portrait sombre en tête, je me rends sur le terrain à la rencontre des jeunes producteurs et productrices et de leur famille. Et quelle n’est pas ma surprise de constater que tous n’ont pas été touchés si durement par la sécheresse. La combinaison de différentes pratiques agroécologiques a permis à plusieurs familles de Proga-Jeunes d’obtenir une bonne production! Ma visite m’apprend que deux techniques en particulier sont favorables à l’infiltration des eaux et à la réduction de l’érosion des sols. La première, c’est l’établissement d’engrais verts en compagnonnage avec les grandes cultures, le maïs tout particulièrement. Les engrais verts sont des légumineuses et ils ont la caractéristique d’apporter de l’azote au sol, un élément essentiel pour les plantes. Mais en plus de son aspect fertilisant, l’engrais vert permet de retenir le sol et de conserver l’humidité. Plusieurs d’entre eux sont également comestibles. La deuxième technique, c’est la réalisation de canaux d’irrigation. Dans un terrain en pente comme le sont la plupart des terres des paysans du nord du Nicaragua, de tels canaux permettent la rétention du sol et de l’eau. Le succès de cette technique est encore plus frappant lorsqu’elle est associée à la plantation de cultures comme la valériane, l’ananas ou la canne à sucre puisque la présence permanente de racines fortifie encore plus le sol.
Je ne peux qu’être émue lorsque le père de Frania, une jeune étudiante, me raconte que l’an dernier, il fut surpris lorsqu’il constata que sa fille avait réussi à produire du maïs dans sa parcelle alors que lui et ses voisins avaient tout perdu. Durant la saison sèche, il a donc creusé des canaux sur sa terre et au moment de semer son maïs, il a aussi semé un engrais vert. Cette année, il est le seul de ses voisins à pouvoir récolter.
«Mes voisins croient que c’est de la chance, me confie-t-il. Mais moi, je sais que ce n’est pas de la chance. C’est du travail, car ce n’est pas facile de faire un canal d’irrigation.»
Mais ce n’est pas tout : les producteurs bénéficient aussi indirectement de l’établissement de ces bonnes pratiques. Don Concepción, l’agriculteur qui nous a prêté sa maison et un petit lopin de terre pour qu’on puisse installer un centre d’études local de Proga-Jeunes, est fier de me montrer le puits qu’il a récemment rénové. Celui-ci est situé tout en bas de la parcelle école et depuis que les jeunes y ont établi différentes pratiques, entre autres, les canaux d’irrigation, le ruisseau a repris vie et le puits s’est rempli! Il bénéficie maintenant à une quinzaine de familles.
Une nouvelle stratégie pour s’adapter au climat
L’équipe du projet PROGA-Jeunes intervient dans plusieurs zones gravement touchées par la sécheresse et il est clair que l’agroécologie, bien qu’extrêmement bénéfique, ne peut pas non plus être la seule intervention pour mitiger les effets des changements climatiques. Des ouvrages environnementaux communautaires comme la construction et la réparation de systèmes de captation d’eau de pluie et de puits ont déjà été réalisés. Cette année, constatant que la pluie se fait toujours rare, mon équipe régionale a décidé d’adopter une nouvelle stratégie en axant ses efforts sur deux plans :
- L’installation de filtres qui permettent de récupérer les eaux usées domestiques pour l’arrosage des plants du potager comme solution à court terme.
- Le développement d’alliances avec les comités de bassins versants en vue d’organiser les communautés pour l’établissement de pépinières d’arbres forestiers et fruitiers qui serviront à la reforestation comme action à long terme.
Témoin des bons résultats de cette stratégie combinée aux pratiques agroécologiques, je reviens de cette visite sur le terrain le cœur plus léger, avec la fierté de contribuer réellement à améliorer le niveau de vie de ces paysans et paysannes. Mais il n’y a plus aucun doute pour moi : l’agroécologie est définitivement la voie à suivre dans la production agricole.
Par Rachel Vincent, volontaire au Nicaragua