Transformer les systèmes alimentaires
Afin de souligner la Journée mondiale de l’alimentation, SUCO a organisé un panel en format webinaire, jeudi 14 octobre dernier, sous le thème : « Transformer les systèmes alimentaires ».
Ce panel, est le premier d’une série de quatre événements qui seront organisés à différents moments clés de l’année afin de mettre de l’avant les différentes expertises de SUCO en termes de résilience aux changements climatiques, de systèmes alimentaires viables et en matière de droits et de participation des femmes dans les communautés d’Afrique de l’Ouest, d’Amérique latine et des Caraïbes. Ces événements s’inscrivent dans le cadre des festivités entourant le soixantième anniversaire de SUCO.
L’événement a été organisé en partenariat avec la Chaire en développement international de l’Université Laval, dont la mission est de contribuer à la formation et à la recherche appliquée ainsi qu’à la communication et l’échange d’informations dans le domaine du développement international. Il a alors été possible d’aborder plus précisément le rôle des systèmes alimentaires dans notre vie et en quoi il est nécessaire de les transformer.
Les systèmes alimentaires actuels, une réalité insoutenable
L’insécurité alimentaire ne cesse de croître et les répercussions des changements climatiques se font ressentir de plus en plus fortement en ce sens au Nord comme au Sud. On observe d’ailleurs, un épuisement des écosystèmes. Face à ce constat, de nombreuses voix plaident depuis quelques années pour une profonde refonte des systèmes alimentaires. Les enjeux sont immenses. Les systèmes alimentaires sont jugés responsables d’environ un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre tandis que la faim continue de progresser. Selon un rapport de l’ONU, elle touche 811 millions de personnes dans le monde, alors que 2,7 milliards de personnes n’ont pas accès à une alimentation saine.
Mais qu’est-ce qu’un système alimentaire viable et quelle est la place des politiques publiques dans le développement de ce système? Quels rôles jouent les petits producteurs agricoles et les circuits courts? Et pourquoi une transformation agroécologique est-elle nécessaire? Pour finir, que pouvons-nous faire en tant que citoyen•ennes et gouvernements pour appuyer ces changements? Autant de questions auxquelles ont répondu avec brio nos experts invités, Miriam Nobre, Alain Olivier et Geneviève Talbot.
Alain Olivier – Expert invité Miriam Nobre – Experte invitée Geneviève Talbot – Experte invitée
Parlons des systèmes alimentaires avec nos expert•es
Alain Olivier, professeur de l’Université Laval et auteur du livre La Révolution Agroécologique : nourrir tous les humains sans détruire la planète, a ouvert le bal en mettant en exergue que les politiques publiques sont un instrument privilégié pour appuyer un type de développement souhaité, car elles permettent de réaliser un choix face à des externalités pour appuyer des valeurs telles l’égalité et la justice.
Geneviève Talbot, chargée de programme – Pôle Afrique à SUCO, a quant à elle déclaré que les politiques servent aussi à renforcer ou transformer un système alimentaire pour qu’il soit viable. Pour celle qui a travaillé de nombreuses années dans le milieu des ONG en développement et la gestion de projets ainsi qu’à la recherche et aux plaidoyers sur les changements climatiques et les systèmes alimentaires, ces politiques permettent aux populations de faire des choix sur les modes de production. Madame Talbot a mis également de l’avant les relations de pouvoir dans le système alimentaire mentionnant que les multinationales détenaient une partie importante de la production et que celles-ci avaient une capacité importante pour influencer les instances ».
Miriam Nobre, ingénieure agronome de formation, et travaillant pour l’ONG Sempreviva Organização Feminista, au Brésil, a affirmé de son côté que l’augmentation de la population est un argument servant à justifier le contrôle des populations et brimer les droits des femmes, notamment quant aux choix de la reproduction. Selon elle « le manque d’aliments est un prétexte pour imposer une révolution technologique aux productrices et producteurs, selon un modèle donné ». Pour finir, elle mentionne qu’un partenariat entre le public et les communautés est primordial et que ces derniers doivent être davantage impliqués dans la réalisation des politiques alimentaires.
La passionnante discussion entre les panélistes, dirigée par l’animatrice Sophie Paradis, s’est poursuivie par une question adressée à Alain Olivier sur la transformation agroécologique, qui est d’ailleurs le thème principal de son nouveau livre. Celui-ci répondra que « le système alimentaire actuel n’est pas juste, soutenable et inclusif. Il ne permet pas de nourrir tous les êtres humains et beaucoup souffrent d’insécurité alimentaire ». Celui qui cumule une vaste expérience dans le domaine de la recherche et du développement international et qui se spécialise dans l’agroforesterie au Sahel a ainsi avancé qu’« avec le système de production actuel, nous détruisons la planète ». Selon lui, il faudrait donc se soucier d’éléments sociaux importants, car sinon nous continuerons d’augmenter la dépendance et la vulnérabilité des producteurs et productrices. Le système alimentaire actuel n’est finalement pas adapté aux contextes des territoires, ce qui fait que nous nous retrouvons devant une impasse, d’où l’importance de changer nos façons de faire et de produire.
Le rôle des femmes dans la transformation agroécologique
Poursuivant sur ce thème, l’animatrice s’est tournée vers Miriam Nobre pour connaître son opinion sur le rôle des femmes dans cette transformation agroécologique. Cette dernière, qui développe au sein de son organisme des activités de formation et de recherche-action en agroécologie, économie féministe et économie solidaire, et qui a également été activiste de la Marche mondiale des femmes, a mis de l’avant l’importance du rôle des femmes pour nourrir directement les familles. En effet, celles-ci pratiquent l’autoconsommation et jouent un rôle clé dans les systèmes alimentaires. Toujours selon elle, « les femmes ont un rôle important à jouer autour des savoirs et des connaissances. Elles travaillent beaucoup, utilisent des méthodes et produits diversifiés, pensent de façons réfléchies, en se basant sur le cœur et la pensée. Elles cherchent à respecter la nature et à travailler avec celle-ci ».
Pour conclure sur cette thématique, Madame Talbot a abordé la question du rôle des consommatrices et des consommateurs dans les systèmes alimentaires. Selon elle, « face à cet enjeu, il y a une rééducation à faire, car les gens ont perdu le savoir en production alimentaire. Il faut qu’il y ait une volonté politique, des marchés facilement accessibles, pour sortir les gens de la pauvreté ». Elle ajoute également qu’il faudrait valoriser la recherche d’aliments sains, qui répondent aux goûts et aux besoins ainsi qu’aux politiques d’éducation, tout en ayant une vision féministe avec un partage réel des tâches. Elle souligne aussi que pour participer au développement de recommandations nationales, il est important de prendre en compte les habitudes alimentaires des gens, de se baser sur les pratiques locales, sur les traditions, sur la culture alimentaire et de production, et enfin d’y intégrer une vision systémique.
Les circuits courts, une partie de la solution
Un autre thème important discuté par les panélistes, a été celui des circuits courts, sujet de plus en plus d’actualité parmi les consommateurs et les consommatrices, soucieux et soucieuses de leur alimentation. Alain Olivier a soutenu leur importance, car ils répondent au besoin d’avoir accès à des produits locaux. Madame Talbot a quant à elle, souligné l’importance de mettre de l’avant la reconnaissance des femmes dans les circuits courts et les retombées économiques que de tels circuits peuvent engendrer, et ainsi réduire la pauvreté et faciliter l’accès à des aliments de qualité. Pour Miriam Nobre, il s’agit d’une opportunité pour créer des liens de confiance et de proximité entre les productrices et producteurs et les consommatrices et consommatrices. Il faut en fait accueillir la diversité de produits, repenser la production et diminuer la quantité de travail nécessaire. « Manger, c’est un acte politique », conclut-elle.
Que faire pour changer le système alimentaire ?
Pour clore la discussion, l’animatrice a interrogé les panélistes sur ce que nous pouvions faire, en tant que citoyens et gouvernements, pour appuyer les initiatives visant à changer le système alimentaire actuel. Pour Madame Talbot, il faut s’assurer d’acheter le plus possible localement, peu emballé et peu transformé. « Il faut aussi s’intéresser à l’actualité, aux élections municipales, aux enjeux importants et faire valoir son point de vue ». Alain Olivier, de son côté, a abordé la prise de conscience de l’injustice et du privilège d’avoir des gens peu payés qui nourrissent la population. Pour lui, il est primordial de reconnaître que ce sont des paysans et des paysannes qui nous nourrissent et non pas les grandes entreprises. Miriam Nobre a conclu cet échange passionné en mentionnant l’importance de réduire la dépendance des paysans et paysannes aux entreprises et de rester solidaires et engagés·es.
Vous pouvez visionner l’enregistrement de ce premier panel SUCO sur les systèmes alimentaires à partir de notre chaîne YouTube.
Un prochain rendez-vous
Ce premier panel sur les systèmes alimentaires s’inscrit dans une série de quatre panels portant sur les enjeux et les solutions en lien avec les axes d’intervention de SUCO. Le deuxième panel SUCO sera présenté en février 2022 et portera sur les acteurs et actrices de changements dans le cadre de la Semaine du développement international (SDI). Restez à l’affût !
Depuis 60 ans, SUCO sème la solidarité internationale grâce aux acteurs et actrices de changement. Ensemble, nous répondons aux réalités et aux besoins contemporains de nos partenaires et des populations locales.
Cette série de panels est réalisée avec l’appui financier du gouvernement du Canada accordé par Affaires mondiales Canada.